[Coral Gables] Bureau de Demers Private Investigations

« Alors Zachary, on s'éclate comme une bête ? » se dit-il en riant à moitié.

Alors que Zach, perdu dans ses pensées, envisageait la possibilité de s'intoxiquer à la nicotine, la sonnette retentit. Peut-être les affaires allaient elles enfin démarrer. En répondant à l'interphone, Zach tomba sur une voix faible, chevrotante mais masculine d'un vieillard.

- Bonjour. C'est bien Demers Private Investigations ? Je voudrais engager un détective privé.

Le vieil homme s'exprimait avec lenteur, sans rythme. Si le calme plat était rompu, Zach n'était pas encore au cœur de l'action palpitante.

- Vous avez frappé à la bonne porte, Monsieur. Je vous ouvre. Troisième étage, au fond du couloir.

Zach eu largement le temps de ramasser ses cigarettes tombées par terre. Il aurait même pu les faire tomber et les ramasser une seconde et une troisième fois sans devoir se presser pour aller accueillir son client à l'entrée du studio.

Quand le vieux arriva à destination avec la précieuse aide de sa canne, son visage avait pris une teinte violette avec quelques nuances de bleu et beaucoup de rouge. Il portait un pantalon de toile, une veste beige claire et un chapeau de même couleur. La peau de son visage était tellement détendue qu'il ressemblait un peu à un basset et qu'on pouvait se demander comment il arrivait encore à fermer la bouche. Avant de pouvoir saluer le détective privé, il fut pris d'une abominable quinte de toux qui aurait duré plusieurs minutes s'il ne s'était pas saisi du verre d'eau que tenait Zach pour le siffler d'une traite.

- Merci, parvint-il enfin à sortir de sa gorge.

Il rendit le verre vide à son hôte et chercha des yeux un endroit pour s'asseoir.

- Par ici je vous prie, encore quelque pas et vous pourrez vous installer confortablement à mon bureau.


- Je vous écoute, en quoi puis-je vous être utile?

Le vieux se laissa tomber sur la chaise que lui présentait Zach et ne cacha pas son soulagement.

- Merci, Mr Demers. Je m’appelle Winston Johnston. J’ai hésité à venir vous voir. Mais je suis inquiet et je passe devant votre bureau tous les matins pendant ma promenade. C’est important pour quelqu’un de mon âge de sortir régulièrement et de faire un peu d’exercice.

Puis, enfin, il se décida à en venir au fait.

- C’est à cause de Mary, Mary Myers. C’est une amie à moi, nous faisons des promenades ensemble régulièrement. Mais elle est plus active que moi, elle fait partie d’un club de bridge. Il ya un peu plus d’un mois, peut-être un mois et demi, qu’elle ne m’a plus donné de nouvelles. Au bout d’une semaine, son concierge que je connais un peu a accepté d’ouvrir son appartement. Vous savez ce que c’est à notre âge à Mary et à moi, nous pouvons cesser d’exister à n’importe quel moment. Mais elle n’était pas dans son appartement. Je suis allé à son club de bridge, ils ne l’ont pas vue non plus. Elle n’a plus de famille et la police refuse de m’aider. Ils disent qu’elle a pu prendre des vacances ou vouloir changer de vie, qu’ils ne peuvent pas lancer des recherches comme ça. Mais je connais Mary, ce n’est pas son genre de disparaître comme ça. Je suis sûr qu’il lui est arrivé quelque chose. S’il vous plaît, aidez-moi.

Zach avait vu juste. L’affaire concernait bien une vieille dame. Mais il n’aurait sans doute pas à prendre d’horribles photos, du moins pas dans l’immédiat. Malgré sa tendance à beaucoup parler et à s’éloigner du sujet, le vieux était attachant avec son histoire.

A vrai dire, ce récit banal de solitude et de détresse donnait à Zachary ce sentiment pénible qu’il pourrait très bien figurer son
Recentre-toi Demers, reste pro.

Il voulut d’abord rassurer son client.


Zachary glissa sur le bureau une liasse de feuilles imprimées en affichant un sourire «ultra bright».

-... Il faut signer le contrat! Les conditions tarifaires sont précisées à la dernière page.

Winston fut surpris de se faire présenter un contrat, mais il signa rapidement après en avoir survolé les grandes lignes, notamment les conditions tarifaires.

- Si elle avait décidé de s’absenter, elle m’aurait prévenu. Elle savait que je me serais inquiété sinon.

Ensuite, il ne se fit pas prier pour raconter en long, en large et en travers les moindres moments passés avec Mary Myers. Leur relation était purement amicale même s’il laissait entendre une profonde affection pour la vieille dame. Ils parlaient de tout ce qui pouvait leur passer par l’esprit, le beau temps, l’actualité, la politique, et leurs longues vies respectives. Mary avait été infirmière, elle avait passé pas mal de temps en Afrique puis en Inde pour soutenir les populations du tiers monde. Elle était née et avait grandi à Miami et c’était toujours resté son point d’attache. Absorbée par son travail, elle n’avait jamais fondé de famille et avait, au fil des années, perdu tous ceux qui lui étaient liés par le sang. Hormis son club de bridge, quelques séances de bingo au Community Center de Coral Gables, ses livres et ses promenades avec Winston, elle n’avait pas grand-chose.

Le récit prit pas loin d’une demi-heure tant le vieillard se perdait dans les détails et sautait d’un sujet à l’autre sans vraiment structurer son récit. Seul, il ne devait pas avoir beaucoup d’occasions de parler, et encore moins depuis que Mary avait disparu. Il profitait un peu de Zach pour avoir un échange social. Il ne se souvint en tous cas pas de détail, même insignifiant, qui aurait pu mettre le détective privé sur une piste. Il termina par une mise en garde.

- Ne prenez pas sa disparition à la légère, ne faites pas comme la police. Je suis certain qu’il se passe quelque chose.

Zachary observa la réaction du vieux à son plan de bataille, espérant avoir éveillé un souvenir ou suscité une émotion. Après tout, Monsieur Johnston ne lui disait peut être pas tout, bien que sa démarche d'engager un privé laissât à penser le contraire. Quand même, ces services n'étaient pas gratuits et peut être disproportionnés pour le portefeuille d'un retraité lambda, et le tout pour retrouver une simple connaissance telle que Monsieur Johnston l'avait dépeinte. Dépenses somptuaires, c'est le terme comptable, Zachary se dit qu'il serait bon de se renseigner également sur ce cher Winston.

Winston ne comprit probablement pas toutes les démarches que proposait Zach mais il avait l’air rassuré que sa démarche soit prise au sérieux.

- Merci.

Il écrivit sur un morceau de papier son adresse, celle de Mary Myers, celle du club de bridge et même celle du community center où elle jouait au bingo.

- Mary n’a pas de véhicule. Pas à ma connaissance en tous cas. Je ne l’ai jamais vue conduire.

Le vieillard assura au détective privé que le paiement ne poserait pas de problème, qu’il pouvait même lui verser un acompte en liquide, mais il ne donna pas d’information sur l’origine de ses revenus.

Comme Zach annonça qu’il mettait fin à l’entretien, il se leva et tendit la main pour que le détective privé la serre. Ensuite, il remettrait son chapeau et se laisserait raccompagner vers la sortie du studio.

Zach eut ensuite largement le temps d’en griller une avant de se mettre en route pour filer son client. Winston marchait à petits pas lents mais réguliers et fit deux pauses pour reprendre son souffle. Pas de limousine avec chauffeur ou d’hélicoptère pour le récupérer. Il marcha jusque chez lui. Il lui fallut trois quarts d’heure pour rejoindre son domicile à deux rues du studio de Demmers Private Investigations. Il vivait dans une petite maison comme il y en avait des tas dans ce quartier résidentiel de Coral Gables, sans grand luxe mais avec de quoi avoir un certain confort. Comme il l’avait dit un peu plus tôt, le bureau de Zach était sur le chemin de sa promenade quotidienne. Le vieillard rentra chez lui sans se rendre compte ou même imaginer que le détective privé qu’il venait d’engager le suivait lui.

Sans plus personne à suivre, Zach était toujours dans son quartier résidentiel à Coral Gables.

« Voilà une filature bien instructive Demers, tu as du flair ! Bon, tu te seras au moins dégourdi les jambes. »


« Enfin un peu d'action... »

Les recherches de Zach durèrent toute la matinée et ne furent malheureusement pas très fructueuses. Le nom de Mary Myers apparaissait dans certaines bases de données mais cela n’indiquait rien d’anormal. Elle apparaissait dans la base de données de l’IRS et dans celle de Medicare. Elle n’avait pas de véhicule immatriculé à son nom. Dans le registre de population de Coral Gables, elle était déclarée comme étant célibataire et domiciliée seule à l’adresse que Winston avait fournie.

Les hôpitaux ne donnèrent rien, aucun établissement du coin n’avait admis une Mary Myers ni de personnes non identifiées correspondant à son signalement. Du point de vue de la police, la seule trace de la disparue était une main courante au precinct du Coral Gables, établie par Winston Johnston et qui signalait une disparition inquiétante mais aucune autre démarche n’avait été entreprise.

Mary Myers n’était sur aucun des réseaux sociaux. Il trouva son nom et une photo sur le site d’une amicale des missionnaires africains. Sur la photo datant de 1962, elle pose sous le voile de sœur catholique en compagnie d’un prêtre et d’enfants dans un village du Kivu dans ce qui était à l’époque le Zaïre nouvellement créé.

« Du calme mon vieux, je passe d'abord ce coup de téléphone et je file te chercher un sandwich. »

Zach avait beau ne pas être dans le quartier depuis très longtemps, il connaissait la paroisse catholique du coin. Miami était connu pour sa forte communauté hispanique catholique et contrairement à d'autres villes américaines où le protestantisme est la norme, presque chaque quartier de la plus grande ville de Floride a son église catholique. Celle qui se trouvait à deux blocs de chez Zach et de chez Mary Myers était dédiée à Sainte Augustine. Zach connaissait l'endroit, c'était un bâtiment en brique et la seule chose qui évoquait une église était une grande croix en ciment devant l'entrée. Une brève recherche su le web permit à Zach de trouver le numéro. On lui répondit après trois sonneries.

- Saint Augustine Church, que puis-je pour vous ?

-"Bonjour, Zachary Demers de Demers Private Investigations. Je vous appelle pour une question un peu particulière. Je suis à la recherche d'une personne âgée, une certaine Madame Mary Myers qui est peut être au nombre de vos paroissiens. Je suis également preneur d'informations concernant une mission datant du début des années 60 au Zaïre, dans un village du Kivu."

Zach crut bon de dramatiser un peu sa demande et flatter l'égo de son interlocuteur afin de retenir toute son attention.

- "Il s'agit d'une affaire tout à fait sérieuse et votre coopération pourrait se révéler précieuse. Je suis prêt à me déplacer en fin d'après midi si vous même ou l'une de vos connaissances détiendrait une info."

Zach était un peu nerveux. Il s'attendait à une fin de non recevoir, du genre "Vous, vous êtes un ami de Winston Johnston!".

Le prêtre au bout du fil mit un petit moment à comprendre de qui Zach parlait.

- Mary Myers.... Ca me dit quelque chose... Ah, oui. Une dame âgée, très gentille. Elle vient de temps en temps mais elle n'est pas très régulière. Nous avons déjà eu quelques conversations. Elle m'a effectivement parlé d'une mission en Afrique qui avait pour but de parcourir les villages et prodiguer des soins médicaux là où ils n'étaient pas disponibles. Je n'en sais malheureusement pas plus. Si vous avez besoin d'autres informations sur cette mission, vos devrez prendre contact avec l'ordre religieux qui l'a organisée.

Il laissa passer un bref instant de réflexion.

- Cela fait près de deux mois que nous n'avons pas vu Ms Myers. Cette irrégularité n'est pas inhabituelle comme je vous l'ai dit, mais votre coup de téléphone m'inquiète. Il ne lui est rien arrivé de grave ?

- Il faut que je parle à Miss Myers de toute urgence, pour une affaire privée. Je vous serai très reconnaissant de me contacter si d'aventure vous la croisiez de nouveau ou si l'on vous confiait une quelconque information.


« Ah oui, trouver un sandwich en chemin, c'est ça... »

Le prêtre confirma à Zach qu'il le contacterait immédiatement s'il devait avoir des nouvelles de Ms Myers et lui souhaita une bonne journée avec la bénédiction de Dieu.

Zach quitta donc son studio pour se rendre sur le terrain.

Loisirs et détente > Coral Gables Bridge Club