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Lorsque je trouvais tante Annabeth assise sur une chaise dans la cuisine, un pot de crème glacée posé devant elle et une cuillère à la main, je sus tout de suite que quelque chose claochait.

« Tante Anna ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Je posais mon sac dans l’entrée en m’approchant d’elle, inquiet. Elle ne semblait pourtant pas blessée.

« Rien du tout, ne t’inquiète pas. »

« Tu manges de la glace, ne me dis pas que ça va. »

Cette situation aurait pu paraître cocasse mais quiconque connaissait ma tante comme moi savait qu’elle ne mangeait jamais de glace. Jamais. A moins d’être contrariée. Elle soupira en posant la cuillère.

« Alexeï s’est foulé la cheville. »

Je masquait un soupir de soulagement. Cela ne la concernait pas directement.

« On a une soirée dansante samedi et j’attendais ça depuis trois mois. Il y aura toutes les associations et pleins de jeux et de musique, … Tu me trouvez ridicule, n’est-ce pas. »

Un tendre sourire étira mes lèvres.

« Pas du tout. Je sais combien tu aimes ces soirées. Et tu mérites de t’amuser. Il n’y a personne d’autre avec qui tu pourrais y aller ? »

Elle soupira à son tour.

« Non. Il n’y a aucun cavalier de disponible samedi et on s’entraîne à la valse tango depuis des mois avec Alexeï. Ce sont des pas compliqués et je me faisais une joie de les tester. »

Sa déception était visible et cela me faisait mal au coeur.

« Je suis désolé, … Il y aura d’autres occasions, … »

« Oui, … sans doute, … »

Elle plongea de nouveau sa cuillère dans le pot alors que je m’éloignais vers ma chambre après lui avoir embrassé le front.


Le samedi soir venu, je me présentais au salon en costume impeccable.

« Tu n’es pas prête ? »

Tante Annabeth se tourna vers moi et ne masqua pas sa surprise.

« Waou ! Que tu es beau ! Tu sors ? »

Je lui souris.

« Oui. Avec toi. Je t’emmène danser ! »

« Quoi ? »

« Tu as une soirée de prévue, non ? Alors va te préparer, je t’attends. »

« Mais, … »

« Tu ne vas pas me dire que je me suis exercé toute la semaine pour rien ? Je ne vaux sans doute pas Alexeï mais je suis devenu assez doué dans une certaine valse tango, sans me vanter ! »

Son sourire s’élargit et elle s’approcha de moi.

« Merci, mon chéri ! »

« Allez ! Dépêche-toi ! On va être en retard. »

Après un rapide câlin, elle alla se préparer et réapparut en robe de soirée. Les heures qui suivirent ne figurent pas dans les meilleurs de ma vie mais Tante Annabeth était contente de sa soirée et je ne lui ai pas trop marché sur les pieds. Après tout ce que celle femme faisait pour moi, je lui devait au moins ça, …

Je levai les yeux sur le bâtiment face à moi. C’était l’adresse que m’avait donné Porter mais je sentais qu’une journée à le suivre comme un petit chien serait vite ennuyante. J’avais passé un moment à me documenter sur le travail d’un policier. C’était barbant. Du moins, au début. Le travail en uniforme était loin d’être intéressant. Mais, en passant inspecteur, les possibilités étaient plus grandes, mis à part la paperasse qui prenait toujours une trop grande partie du temps. Le mieux était d’avoir quelqu’un pour s’en occuper mais, pour ça, il fallait grimper les échelons. Je me demandais bien à quel niveau était Porter.

Je souris subitement en avisant une camionnette de livraison se garer à moins de vingt mètres de moi. Le type devait avoir chaud puisqu’il avait posé veste et casquette sur le siège passager de son véhicule. Il sortit, visiblement agacé, en portant son téléphone à l’oreille et se mit à faire les cent pas en baragouinant quelque chose dans une langue latine. Du portugais peut-être. Je profitais de son inattention et me glissai jusqu’aux vêtements abandonnés que j’enfilai immédiatement et m’éloignait vers le poste après avoir saisi un carton.

« Bonjour. J’ai un colis pour, … »

Je fis mine de chercher sur mon smartphone. Beaucoup de livreur passaient maintenant par des applications au lieu de trimbaler de grosses machines.

« Le lieutenant Connor Porter. »

L’homme en uniforme vérifia quelque chose sur son ordinateur et appuya sur un bouton qui déverrouilla l’accès à l’intérieur du poste.

« Deuxième étage. »

« Merci. »

Aussitôt, j’empruntais la porte menant à un long couloir au bout duquel se trouvait un ascenseur. Mais ce fut la porte sur ma droite qui attira mon attention. Un bureau. Sûrement d’une personne pas très importante. Il y en avait plusieurs à cet étage. Ils devaient sans doute servir aux dépôts de plaintes ou affaires mineures. Depuis la petite vitre présente sur la porte, je constatais qu’il était vide. Un digicode en fermait l’accès. Après un moment de réflexion et d’observation je fis un essai. Infructueux. Mais, après trois tentative, la lumière verte apparut et m’ouvrir le passage. Pas très malin d’utiliser le numéro de porte mais, avec des bureau impersonnel, il fallait bien un truc pour y accéder. Et en considérant que seules deux autres touches étaient usées sur le clavier, cela ne laissait pas beaucoup de difficultés.

Aussitôt entré, je posais le carton et retirai casquette et veste avant de les rouler en boule derrière le bureau. Je pris place sur la chaise et allumais l’ordinateur. Le code d’accès me donna plus de fil à retordre, enfin, jusqu’à ce que je soulève le sous-main. Un post-it intitulé « mot de passe » y était dissimulé. Je souris en entrant le code. Tout le monde pensais que s’introduire dans les appareils électronique protégés par mot de passe était difficile et nécessitait une tonne de logiciels mais en fait, la plupart du temps, c’était une simple affaire d’observation et de déduction. Et la plupart des gens étaient trop bêtes pour concevoir un mot de passe à la fois difficile à trouver et facile à mémoriser.

Par pure curiosité, je cherchais des informations sur Porter. Je trouvais sans trop de mal son dossier informatique mais l’accès m’y était refusé et, là, les accréditations étaient d’un tout autre ordre. Il fallut faire appel à mes cours d’informatique et mes nombreuses lectures pour parvenir à coder un algorithme me donnant l’accès. Mais l’affaire prendrait plusieurs minutes. Je me mis donc à fouiller dans les tiroirs.

Trois coups frappés contre la porte me firent lever la tête. Je masquais ma panique derrière un visage impassible alors que la porte s’ouvrait sur une femme en uniforme.

« Madame Beauclair souhaite porter plainte contre son voisin pour vol. »

Elle fit entrer la femme et referma la porte, me laissant seule avec la victime. Sans sourciller, je tendis la main vers la femme d’une soixantaine d’années.

« Bonjour madame. Je vous en prie, asseyez-vous. »

Je repris place à mon tour derrière le bureau emprunté. La policière ne devait pas être passionnée par son travail pour ne pas avoir remarqué que je n’était pas un de ses collègues. A moins que des officiers en civils prennent parfois les dépositions.

« Je vous écoute madame. Quel objet votre voisin vous a-t-il volé ? »

« Il m’a volé Oscar ! Je suis sûre que c’est lui qui l’a pris. Il est jaloux depuis que j’ai gagné le concours le mois dernier ! »

Je pris un air professionnel pour continuer l’interrogatoire tout en faisant mine de taper à l’ordinateur. Le programme de piratage en était à presque quatre vingt pourcent maintenant.

« Qui est Oscar ? »

« Oscar ? C’est le plus beau de mon nain de jardin ! Il a un bonnet rouge et une petit pioche sur l’épaule droite. Il est mignon avec son sourire jovial. Il m’a fait gagner, c’est sûr ! Et maintenant, le vieux Birdwel est jaloux et l’a kidnappé ! »

Ce qui était sûr, c’était qu’il lui manquait une case à celle-là. Elle parlait de son nain de jardin comme d’un animal de compagnie. Elle reprit en me faisant l’éloge de l’objet perdu et en dépeignant un portrait abjecte de son voisin mais déjà, mon attention était ailleurs. Je venait d’avoir accès au dossier de Porter. Mais je pus à peine en lire quelques lignes avant qu’une alarme ne se déclenche dans les hauts parleurs. Et merde ! Leur système de sécurité était peut-être plus sophistiqué que je ne le pensais. Mon intrusion avait dû être découverte. Il fallait abréger.

« Excusez-moi madame Beauclair mais il faut que j’aille voir ce qu’il se passe. Je reviens rapidement et nous nous occuperons de récupérer Oscar. »

Je quittais la pièce et me dirigeais vers l’ascenseur. Il était temps de rejoindre le niveau deux. Une fois à l’étage demandé, je ne put faire que trois pas.

« Shane ! »

Sur ma droite, le lieutenant me faisait signe d’approcher.

« Je pensais que tu arriverai plus tôt. Tu ne peux pas rester là pour l’instant, on vient d’avoir une alerte sécurité. Ne t’inquiète pas, ça arrive tout le temps. Je t’emmène boire un café ? On fera le tour du poste après. »

« Ca m’a l’air bien. »

En souriant, je le suivis en dehors du poste. Je gagnais un café gratuit, il y avait pire comme début de journée, …

« Le rayon littérature anglaise est trois rangées plus loin, mais je doute que vous soyez un amoureux de Shakespear. »

L’homme qui me faisait face, une quarantaine d’années, cheveux coupés courts et costume de seconde zone, se mit à sourire. Pas un sourire franc, plutôt une sorte d’amusement discret. Je décidai alors de continuer.

« Et vous n’êtes ni prof, ni étudiant ici. Vous n’avez pas l’air d’avoir l’habitude de travailler derrière un bureau et votre voiture est immatriculée dans l’Oregon. Il n’y a pas de bibliothèque possédant un exemplaire d’Othello dans l’Oregon ? »

Nouveau sourire de sa part. Visage toujours impassible du mien.

« Tu es perspicace. »

« Et vous pas vraiment discret. Ca fait trois jours que vous venez ici, faîtes mine de lire quelques heures et repartez. Qu’est-ce que vous cherchez ? »

« Quelqu’un. »

Je haussai un sourcil. S’il voulait jouer au type mystérieux, grand bien lui fasse. Moi, j’avais du travail. Je me détournai de lui et poussai mon chariot de livre vers le rayon des ouvrages sociaux.

« Bonne chance ! »

Comme je m’y attendais, il me suivit mais je n’y prêtai pas attention.

« Je cherche quelqu’un de malin, qui n’a pas froid aux yeux, et qui a un certain talent dans la contrefaçon. »

Je ricanai doucement.

« Quelqu’un d’aussi malin ne parlera pas à un flic. »

« Qui te dit que je suis flic ? »

« Vous. »

Je continuai machinalement à ranger les ouvrages, un par un, à leur emplacement exact. Lui se tenait toujours derrière moi, sans un mot. Il attendait sans doute que je développe mon propos, mais il était bien plus drôle de le laisser mariner.

« Ils s’obstinent à corner les pages ! Ce n’est pas parce que ce sont des livres qu’on peut les abîmer comme ça ! Entre ça et les traces de cafés, on devrait leur faire payer l’entrée ! »

La façon dont les étudiants traitaient les livres qui ne leur appartenaient pas avait une fâcheuse tendance à m’agacer.

« Je ne t’ai pas dit quelle était ma profession. »

Et voilà qu’il insistait.

« Pas besoin. Il n’y a que deux types de personnes qui s’intéressent à la contrefaçon. Les criminels et les policiers. Et vous n’êtes pas un criminel. »

Je le sentais des plus attentif alors que je m’accroupissais pour ranger un ouvrage intitulé Violence urbaine, écrit par un illustre inconnu.

« Vous êtes poli et respectueux. Je vous ai vu regarder Marc Taylor de travers hier parce qu’il a eu le regard baladeur. Vous vous essuyez toujours les pieds en entrant, vous dîtes « bonjour » et « au revoir » et reposez les livres où vous les prenez. Vos chaussures sont toujours impeccables, tout comme vos vêtements et vos cheveux. Vous parlez, ou du moins comprenez le mandarin - je vous ai vu tiquer à la réponse de Tina Yamuri ce matin. Vous êtes assez discret mais pas assez minutieux. Quand vous avez levé le bras pour aider Lucile à attraper un livre en hauteur - [/u]Dialectique du Moi et de l’Inconscient[u], de Carl Yung, si je me souviens bien – vous avez laisser entrevoir votre ceinture et, si vous en avez ôté le holster, il reste une marque dû à un usage régulier. Les seuls criminels avec une telle attitude ne portent pas de Holster, d’autres en portent pour eux. Et il se moque d’un petit faussaire d’université. Ils ont de quoi s’offrir un travail d’une bien meilleure qualité mais, la plupart du temps, font preuve de tellement de persuasion qu’il n’en ont pas besoin du tout. »

Je ne lui avait toujours pas accordé un regard et ne le fit qu’après avoir finit de déposer le dernier livre, totalement inutile, sur les théories absurde d’un fils à papa n’ayant connu que les écoles privés et les country club, concernant les déviances comportementales des milieux défavorisés. Je croisais alors un regard profond et le sourire étirant les lèvres du flic de l’Oregon n’avait pas disparut, bien au contraire.

« Est-ce que j’ai mentionné la marque circulaire plus claire sur la partie avant gauche du toit de votre voiture ? Si vous voulez passer inaperçu, ne prenez pas votre voiture de fonction. Je suis sûr que si j’ouvre la boîte à gants, j’y trouverai un gyrophare. »

« Je voudrais te parler en privé. »

« Je suis en état d’arrestation ? »

« Non. »

« Alors vous m’excusez mais je préfère les jolies rousses. »

Je lui tournais le dos pour aller ranger le chariot et fut interpelé par un première années avec une liste de livres à lire longue comme son avant bras. Le flic prit alors la direction de la sortie et disparut, non sans saluer poliment ma collègue à l’entrée.



Trois jours plus tard, je me présentai devant le bureau du doyen, souriant à la secrétaire.

« Bonjour mademoiselle Strikes, comment va votre chat ? »

Etant donné le nombre de fois que je viens dans ce bureau, elle et moi sommes pratiquement des amis d’enfance maintenant.

« Je n’ai pas de chat, Shane, et tu le sais très bien. »

« Mais vous devriez en avoir un ! »

Elle sourit et décrocha son téléphone.

« Shane Hawks est arrivé. Très bien monsieur. »

Elle raccrocha et me désigna la porte.

« Tu peux y aller. Il t’attend. »

« J’adore nos conversations ! C’est l’apogée de ma semaine ! »

Sur un dernier sourire, j’ouvris la porte du bureau du doyen et fronçais les sourcils en la refermant.

« Monsieur. Policier de l’Oregon. Est-ce que je dois m’attendre à des ennuis ? J’ai pourtant bien trié le carton et le plastique avant de sortir les poubelles ! »

« Arrêtez vos âneries, monsieur Hawks ! »

Mais je voyais bien que le doyen cachait un sourire, contrairement au flic qui, lui, ne masquait rien. D’ailleurs, celui-ci me tendit une carte d’identité.

« C’est ton travail ? »

Je ne fit pas un geste vers l’objet.

« Je suis étudiant en informatique, monsieur, je ne travaille pas au service de fabrication de papiers d’identité. »

« Oui, ça je le sais. Mais cette carte est une fausse. Je te demande simplement si c’est toi qui l’a fabriquée. »

« La fabrication de faux papiers est un crime fédéral. Pourquoi ferais-je une telle chose ? »

Le doyen soupira.

« Je ne suis pas là pour t’arrêter. Je te promets que tout ce que tu me diras ici restera entre nous. »

S’il croyais que sa parole lui accorderait ma confiance pleine et entière, il se fourrait le doigt dans l’oeil, jusqu’au coude !

« Je vous répète que je n’ai pas fabriqué cela. Je ne fais pas ce genre de chose. Et, si jamais je décidai de le faire, mon travail ne serait pas celui d’un amateur. »

Le flic fronça les sourcils et moi, je restais toujours en retrait.

« Ca se voit qu’elle est fausse au premier regard. La teinte n’est pas la bonne, le papier de mauvaise facture et le tampon est celui d’il y a trois ans. Ca ne correspond ni à la date, ni à l’âge de ce, … Samwel. Certains ont trop regardé Game of Thrones, … »

Le directeur se tourna vers le policier avec un sourire.

« Alors ? Qu’est-ce que t’en pense ? »

« J’en pense que t’avais raison. Mais la décision ne m’appartient pas. »

Je tentais de comprendre leur échange et avait la désagréable sensation d’être largué. Je détestais ça.

« Je peux repasser plus tard, si vous êtes occupés, … »

Les deux paires d’yeux se tournèrent vers moi.

« Shane, je te présente le lieutenant Connor Porter, de la police de Portland. Et mon beau frère. »

L’homme en question me tendit la main que je serrai avec une assurance feinte.

« Timothy m’a beaucoup parlé de toi. Selon lui, tu ferais une recrue idéale pour les forces de l’ordre. »

Je haussai un sourcil. Ne cachant pas ma surprise.

« Moi ? Un flic ? Je crois qu’il a pas dû vous donner le bon dossier, sauf votre respect, monsieur. »

Je n’avait jamais vu le doyen avec un tel sourire. Etait-ce de la malice dans son regard ?

« Au contraire Shane. Tu maîtrise le rôle du professeur et celui de l’étudiant modèle. Jouer un officier de police ne te sera pas très difficile, je me trompe ? »

Avant que j’ai pu répondre, Porter reprit la parole.

« On a besoin de gens observateur et avec une bonne déduction. Et quelque chose me dit que tu serais parfait pour nos enquêtes nécessitant des agents infiltrés. »

Il venait de susciter mon attention. Est-ce que je pourrais réellement être payé pour mentir à longueur de journée ? Et être reconnu par l’État, avec ça ? C’était une idée qui méritait réflexion.

« Et qu’est-ce qui vous dit que ça m’intéresse ? »

Porter me tendit une carte.

« Passe me voir à Portland à l’occasion. Je te montrerais en quoi consiste réellement mon travail et tu te feras une idée. »

Je saisis la carte d’un air nonchalant mais, au fond de moi, je savais que je venais de faire un gigantesque pas en avant.