[Irlande] Galway

AJ hésita mais il finit par s’asseoir du bout des fesses de peur de vexer ses hôtes. Il restait néanmoins prêt à bondir au moindre signe d’agression physique. La question le surprit et le força à se détendre. Il s’indiqua la poitrine de la main comme pour montrer qu’il était sérieux et parler plus bas de peur d’être entendu.

- Ben, boulot. Pourquoi je serais ici sinon ? Je passe toute l’année à Seattle, je vais pas prendre mes vacances dans la grisaille.

Il déglutit, sans doute inquiet de savoir s’il allait poser la bonne question, et surtout, il n’était pas sûr de vouloir entendre la réponse.

- Et vous ?

- Boulot... Moi je n'en ai plus à cause de toi...
Dit-elle en serrant le verre face à elle qui commença à se fissurer.
- Plus de pays non plus, j'ai du m'exiler ici pour échapper aux poursuites judiciaires. Mo ami Carla m'a offert un toit temporairement.
La Carla en question ne dit rien et restait étrangère à la conversation.
- Je dois admettre que je suis intriguée, tu dois savoir à quelle point j'aimerais te crever les yeux avec ces éclats de verre et boire ton sang... Alors pourquoi être venu me parler alors que tu aurais put fuir comme tu as l'habitude de le faire ?

AJ sourit et indiqua le barman du pouce.

- Parce qu’il m’a filé un whisky en échange.

Il changea d’expression et la regarda dans les yeux.

- Je déconne.

Camélia ! AJ venait à coup sûr de revenir sur le prénom de sa stalker. Grâce à l’amie qui avait aussi un nom qui commençait par ‘Ca’ et qu’AJ n’avait pas encore cité. Et donc, spontanément, sans vraiment savoir ce qu’il faisait, guidé exclusivement par l’instinct de survie, AJ se mit à parler.

- Ecoute, je reconnais que j’ai pas été top classe avec toi et je comprends que tu aies envie d’épancher ta soif de violence sur moi, mais reconnais aussi de ton côté que tu as eu des réactions légèrement disproportionnées. La balle en caoutchouc dans un calibre 500, le massacre du Denny’s, la prise d’otage à l’hôpital, et au milieu de tout ça, j’étais en plein boulot moi. Je devais absolument éviter de me faire choper, mais toi à ma place.

AJ essayait de l’amadouer, en faisant agir le charme qui l’avait séduite une première fois.

- Voilà ce que je te propose. Tu as de l’expérience, tu fais du super bon boulot quand tu ne te laisses pas aller à tes pulsions violentes. File-moi un coup de main ici et je ferai ce qu’il faut pour que tu puisses revenir au pays.

Il conclut par un argument pour la pousser à prendre la bonne décision.

- Tu pourrais très bien me trancher la carotide tout de suite, mais alors tu serais obligée de quitter ce pays-ci aussi.

Camelia l'écouta sans desserrer les dents et finit par dire ceci.
- Ma réaction a été aussi démesurée que l'amour que je te portais... u m'as trahit, poignardée dans le dos, abandonné comme une chaussette du jour au lendemain. Tu as une idée de l'effet que ça fait?!!
En disant cela, des larmes venaient à ses yeux... Visiblement, elle avait accordé beaucoup trop d'importance à cette romance d'été entre eux deux. La fille à côté d'elle marchait sur des oeufs mais elle se permit quand m^me un commentaire.
- Camelia... Tu m'as dis que vous avez été ensemble quoi... 15 jours ? Tu trouves pas que c'est un peu rapide pour avoir le cœur brisé ?
Cette phrase eu l'air de faire buguer la psychopathe mais elle laissait à AJ l'opportunité de replacer une parole. Elle répondrait ensuite à sa proposition.
- Comment je sais que c'est pas un autre mensonge ?

AJ fut surpris de voir Carla voler à son secours. Un instant, il se demanda si elle était célibataire avant de rejeter l’idée. Il avait assez d’ennuis comme ça. Il jugea bon de ne pas insister dans le sens de Carla, Camelia avait déjà buggé, il ne voulait pas qu’elle plante complètement.

Il se contenta donc de ne répondre qu’à son légitime questionnement.

- Quel intérêt j’aurais à te mentir ? Si tu n’essaies pas de me castrer à la petite cuiller, j’ai pas de problème à ce qu’on vive dans les mêmes 9 000 000 de km². C’est du win-win, on a tous les deux à y gagner. Moi je mène ma mission à bien et toi tu évites de devoir te réorienter professionnellement à l’étranger.

Camelia écouta attentivement toute l'explication de son interlocuteur et serrait des poings tandis que son ami semblait serrer des fesses. A la fin, c'est toujours la même question posée sur un ton froid et implacable qui revînt dans la bouche de la tarée.
- Et comment je peux te faire confiance ? Comment être sûre que tu ne vas pas me trahir... Encore...

AJ se gratta la nuque et écarta un peu sa chaise. Il fit mine de se détendre et de s’affaler un peu plus alors qu’en réalité, il se dégageait un passage pour piquer un sprint au cas où les choses tourneraient mal. Il marchait sur des œufs.

- Je vais être franc avec toi. Je sais que j’ai été un salaud et que je t’ai pourri la vie. Mais si tu veux tout savoir, ta vengeance, ça a plutôt bien marché. Depuis le Denny’s, je n’entre plus dans une pièce sans en avoir vérifié toutes les issues. Quand je marche dans la rue, je regarde derrière moi pour voir si je ne suis pas suivi. J’ai déjà un job déjà stressant et tes idées de vengeance me laissent encore moins de répit. Je suis venu te voir pour une réconciliation. Parce que je veux pouvoir récupérer une vie tranquille sans avoir l’impression à tout moment que tu vas me tomber dessus pour m’égorger. C’est pour ça que je n’ai pas intérêt à te trahir, parce que je veux retrouver une certaine sérénité.

En essayant de ne pas trembler, il tendit la main pour sceller le pacte.

- Deal ?

A voir le regard de braise de Camelia et sa main qui semblait trembler juste à côté de la cuillère (à défaut d'avoir quelque chose de plus pointu). Néanmoins elle ne sauta pas sur l'ustensile de métal et tendit lentement sa main vers Aj, un air de dégoût ur le visage. Mais avant qu'elle attrape sa main, elle le mit en garde.
- Tu as de la chance que Lola ai passé la dernière semaine à me convaincre d'enterrer l'affaire, sinon je pense que je t'aurais égorgé à vue. Mais soit prévenu, si tu me trahit encore une fois, tu en viendras à regretter l'époque où je te poursuivait avec mon calibre 500... Tu ne trouveras pas le répit, pas même au pôle sud... je te traquerais... Je te...
Camelia s'interrompit à cet instant en sentant un liquide couler sur le haut de son crâne. L'air énervée, Lola était en train de lui verser lentement une cruche d'eau sur la tête et elle la reposa énergiquement sur la table. Camelia était sans voix et elle dit simplement.
- Ça fait une semaine que j'ai envie de faire ça... Maintenant que t'es calmée, tu vas arrêter tes conneries de psychopathe et tu vas lui serrer la main, et tu vas faire un effort pour te comporter en être humain normal et mentalement stable, ou alors c'est moi qui te noie. Vu ?
Camelia était sans voix devant cette réaction et, étrangement, sa colère eu l'air de retomber et elle avait maintenant l'air penaude en attenant toujours la poignée de main de AJ.

AJ eut du mal à déglutir en entendant tous les projets sadiques que Camélia avait pour lui. Il ouvra les yeux plus grands qu’il ne l’avait jamais fait quand Carla versa la cruche d’eau sur la tête de son amie. Il eut beaucoup de mal à ne pas éclater de rire mais il s’abstint de commenter. Décidément, cette Lola lui plaisait de plus en plus. Il serra la main de Camélia.

- C’est un plaisir de faire affaires avec vous, les filles.

AJ regarda son message et fit une grimace. Un bref regard dans le pub lui permit de repérer que la salle s’étendait jusque l’arrière du bâtiment. A cette heure, cette partie de la salle était déserte. Les clients se trouvaient près de la façade. Il fit signe aux filles de le suivre et, une fois installé hors de portée d’oreilles, s’adressa à Lola.

- Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Ca a un rapport avec les forces de l’ordre ?

Il ne pouvait évidemment pas balancer des informations sensibles à n’importe qui.

La miss qu'AJ avait interpellé s'étonna à la question de ce dernier et secoua la tête négativement.
- Dans la police moi ? Pas du tout ! Je suis psychologue... Mais là c'est mon jour de congé...
Dit-elle un hilare en désignant du pouce la folle à qui elle avait renversé une cruche d'eau sur la tête quelques minutes auparavant.
- Alors comme ça c'est vous le nouvel Adolf Hitler ? Enfin selon ses mots... J'aurai jamais cru qu'elle rencontrerai quelqu'un de suffisamment taré pour se mettre avec elle... Juste par curiosité, pour avoir les deux points de vue. Qu'est-ce qui s'est passé en fait ?

AJ éclata de rire.

- Vous avez raison de profiter des congés.

La question qu’elle posa le gêna un peu, mais il décida de dire la vérité pour une fois.

- Ben plus ou moins comme elle a dû vous le raconter. On s’est rencontré à une formation, on a sympathisé, on a… enfin, vous voyez. Et puis à la fin de la formation j’ai malencontreusement perdu son numéro de téléphone et ignoré ses 827 e-mails. Je reconnais que c’était pas très classe de ma part, mais sa vengeance n’était pas piquée des vers non plus. Une balle de caoutchouc dans un calibre 500, y a de quoi énucléer un ours. C’était sans doute ce qu’elle avait en tête d’ailleurs. Et y a eu des dommages collatéraux sur son chemin. Y a un Denny’s de Seattle qui doit se souvenir d’elle. Elle a même pris en otage mon superviseur quand il était à l’hôpital.

Il la regarda un peu inquiet.

- Vous croyez qu’elle est apte à bosser sur une enquête ?

La demoiselle haussa les épaules.
- Oui bon, vous êtes juste un type de plus qui réfléchit avec sa queue quoi... Rien de bien dramatique. Faut pas vous étonnez qu'elle vous en veuille mais si toutes les femmes victimes d'un beau parleur se lançaient dans une vendetta, il y aurait une sacré population d'émasculés dans le monde.
Quand bien même elle était largement plus sage que son amie, la dame face à AJ n'avait pas l'air d'avoir un bon apriori sur les pratiques de ce dernier. Après, concernant les aptitudes de Camelia, c'est la psychologue qui parla.
- Franchement, je pense que oui. Camelia peut-être une vraie tarée sur le plan personnel, mais sur le plan pro elle est bonne, très bonne même. Tant que vous êtes dans le cadre du travail, vous n'avez rien à craindre d'elle. P'tain si vous aviez su à l'époque...
La demoiselle se fendit d'un ricanement à cette déclaration.

AJ acquiesça. Il se doutait que ce qu’il avait dit n’avait pas joué en la faveur de son image mais ça n’avait pas une importance capitale.

- D’accord, merci. Par contre, vous comprenez que je ne peux pas vous inclure là-dedans, c’est pour votre propre sécurité. Mais j’apprécierais si vous pouviez garder un œil sur elle, notamment du point de vue rancune…

Si Lola était d’accord, il retournerait voir Camelia pour organiser la suite seul avec elle.

Lola haussa les épaules et fit signe à Camelia de revenir vers eux tandis qu'elle fillait terminer sa pinte. Visiblement encore énervée bien que refroidie par la douche que lui avait donné Lola, Camelia parla d'un ton sec.
- Ok, fais vite.

AJ était donc face à Camelia et ni Lola ni personne d’autre n’était à portée d’oreille.

- Je suis undercover pour l’IRA. Un armurier de Seattle fait passer des armes ici avec l’aide d’un certain O’Neal. On vient d’amener un chargement d’armes par bateau jusqu’au port de Galway et je vais partir avec l’armurier jusque Dublin pour amener le chargement. Pour le moment, l’objectif est seulement d’observer, pas de bloquer oud ‘arrêter quoi que ce soit. En principe, je suis en contact avec le FBI, mais depuis que j’ai quitté le sol américain, je suis en roue libre, même les garda ne sont pas au courant de ma présence ici. J’ai besoin que tu m’aides à obtenir des informations les plus complètes possibles sur ce qui se passe. En tant que membre de l’opération, je n’ai qu’une vision limitée sur les événements. J’ai besoin que tu observes à distance et éventuellement que tu prennes des renseignements. Donne-moi ton numéro de téléphone. Pars pour Dublin par tes propres moyens le plus vite possible. J’ai vu qu’il y avait une station de cars pas loin. Je te contacterai à Dublin pour qu’on fixe un rendez-vous. Des questions ?

Assez étrangement, dès que AJ parla de l'enquête à Camelia, la haine de cette dernière s'effaça un peu pour adopter une expression professionnelle. AJ retrouva la femme qu'il avait connu lors de la formation et pas le T-X de terminator. Elle lui donna son numéro de téléphone Irlandais et une fois qu'il eu terminé, elle lui demanda la chose suivante.
- Ok, tu attends quoi de moi exactement par contre ?

AJ mit un moment pour enregistrer le numéro de Camélia, c’étit particulièrement étrange de commencer un numéro de téléphone par +353 et elle dut lui expliquer, au moins succinctement, le concept d’appel international et pourquoi tous les pays du monde n’avaient pas adopté le système américain.

- Que tu obtiennes, par l’extérieur, des informations que je ne peux pas avoir par l’intérieur. En nous suivant, sur place, tu peux avoir une vue d’ensemble, savoir qui vient, quand et repart où. Je ne peux pas avoir mes yeux partout et j’ai besoin d’informations.

Face à AJ, il y avait moins une folle furieuse qu'une professionnelle qui pouvait enfin retourner à son boulot non sans une petite pointe de satisfaction lisible dans ses yeux. Pour autant elle n'oubliait pas qui était son "ennemi" malgré la trêve et ce regard de braise indiquait bien à AJ que le moindre faux pas pourrait avoir des conséquences dramatiques pour lui.
- Bon... Tu m'en dira plus quand tu auras plus d'informations je suppose... Où je te retrouve ? Et quand ? Où vous allez et quand ? Dis-moi tout ce que tu sais... Oh et l'essentiel, qui je dois surveiller ? Identités, signalements, déballe tout.
Une fois qu'il aurait fini de lui passer les détails, AJ aurait droit à un rappel de son téléphone comme quoi l'heure du départ se rapprochait.