Restaurant : Le dragon de Jade

Neutre, elle l'était, du moins pour le moment. Bon, elle sortait quand même de la voiture de Samuel, qui n'avait rien pour être discrète. Il devait être de notoriété qu'il roulait dans ce genre d'engin, et la jeune femme ne sous-estima pas les coréens pour connaître se genre de détails. Elle écouta les quelques recommandations de Samuel, inclina la tête pour signifier qu'elle avait comprit le message, et d'un pas qui se voulait assuré, elle se dirigea vers le restaurant, avec le sac.

Elle passa devant les deux chiens de garde, et s'ils ne tentaient rien pour l'arrêter, elle entrerait directement dans l'établissement, pour demander à voir Madame Yoon. Sinon elle demanderait la gérante directement aux deux malabars. Sally n'était pas tellement rassurée. Elle espérait que les coréens n'étaient pas amateurs de ce genre de négociations où le messager repartait avec un message de mort au travers de la sienne, les pieds devants.

Elle avait toujours le flingue sur elle, mais ce n'était qu'une bien piètre mesure face aux probables hommes stationnés la dedans, sans parler des deux à l'entrée

Il y avait la totale pour que les non initiés se sentent quelque part en Asie. Pour sa part, le stress faisant, Sally alias Eden en avait un peu rien à foutre la déco et des senteurs de cuissons. Elle voulait déjà être ressortie de cet endroit. Bien entendu, un serveur se pointa pour la placer, afin qu'elle profite de la restauration. C'était un établissement dédié à cela en même temps, du moins en façade, donc quoi de plus naturel.

- Non merci, je ne suis pas là pour manger. J'aimerai voir Madame Yoon, si vous permettez.

Elle voulait voir la réaction du bonhomme. Peut être allait-il l'orienter vers le malabar tenant le porte au fond. Ou peut être qu'il feindrait ne pas connaître cette dame. S'il ne la connaissait pas, elle le contournerait pour aller s'adresser directement au mec en costume.

Sally patienta le temps que le serveur aille se rencarder auprès du type en costume gardant comme un bon toutou la porte du fond. Finalement, on lui fit signe d'approcher, ce qu'elle fit. La mine neutre, Eden écouta tranquillement la réplique, pas si étonnant que ça en fin de compte. Elle toisa un instant son interlocuteur, remettant par la même occasion une mèche de cheveux blonds derrière son oreille droite, sa main gauche tenant toujours le sac, l'objet de sa visite.

- Je suis certaine que Madame Yoon appréciera que je lui rapporte ceci, finit-elle par répondre en entrouvrant le sac pour que le mec puisse discerner les sachets de sucre. Ceci lui appartient je crois, et je n'aime pas me promener avec les affaires des autres.

La jeune femme ne devait pas merder sur ce coup là, mais quel garde du corps ne la ferait pas rentrer après son petit numéro ? Enfin s'il avait un minimum de jugeote bien entendu, ce qui n'était malheureusement pas toujours le cas.

Eden laissa les choses se dérouler toutes seules. Ils avaient leurs petites habitudes et elle ne comptait les froisser en allant plus vite que la musique. Finalement, le sésame finit par s'ouvrir et elle fut introduite dans une arrière salle aux relents de fumée de cigarette. Ca piquait les yeux. Plissant le nez, la jeune femme avança, détaillant les locaux des yeux, ainsi que la brochette de vieille chouette. Comme de juste, elle ne s'adressa pas directement à elle, usant de sa langue natale pour communiquer avec son sbire, lequel fit aimablement la traduction pour une Eden ne comprenant pas le coréen, si s'en était.

- Je lui ramène ce sac parce qu'il lui appartient. C'est normal non ?

Eden ne savait pas trop comment la jouer, surtout que le bonhomme pouvait traduire un peu ce qu'il voulait. Aussi gardait-elle les mains le long du corps, la mine impassible pour le moment, attendant de voir la suite des évènements, qui, elle l'espérait, seraient brefs.

Il ne fallu pas longtemps à Eden pour placer Madame Yoon dans les personnes qu'elle n'appréciait pas spécialement. Ca lui arrivait, de temps en temps, de faire des raccourcis et de juger rapidement quelqu'un sans réellement le connaître. On peut dire que c'est physique, ou quoique ce soit d'autre, mais toujours est-il que la blonde ne l'aimait pas. Bref, après les quelques mots de la vieille chouette, les regards vinrent sur elle comme des mouches sur la merde, et c'était moins une que l'inspectrice infiltrée ne pique un fard devant l'assemblée coréenne.

- Dis lui que je m'appelle Eden Moore, que c'est un honneur de faire sa connaissance, et que oui, effectivement, je travail pour les russes. La carte de l'honneur marchait habituellement bien avec les asiatiques. A moins que cela ne se limitait qu'au Japon, auquel cas elle parlait dans le vent. Qu'importe, elle ajouta, parce qu'elle n'avait pas spécialement envie de faire les frais de son groupe d'appartenance : Je suis là pour arranger les choses, dans tous les sens du terme.

Eviter une guerre, faire des arrangements, faire la paix, ce genre de chose en somme. L'arrangeuse arrange, c'est connu.

Sally se voyait mal ne pas révéler qu'elle venait de la part des russes. En même temps, elle était là pour rendre la came et qui d'autre se serait risqué à faire cela à par eux ? Bref, elle ne pouvait pas prendre le risque de faire autrement et de jouer un double double jeu. Elle ne serait pas crédible auprès de ses interlocuteurs pour la suite si elle s'amusait à cela.

N'empêche qu'on était entrain de l'entrainer par une autre porte, la faisant quitter la salle brusquement, direction les cuisines. La jeune femme n'aimait pas vraiment la tournure que prenait les évènements. Elle n'avait rien a dire à Samuel si tant est si bien qu'elle sortait vivante de ce trou à rat.

- Où allons-nous ?

Il fallait bien qu'elle se renseigne un minimum même si au fond d'elle, elle commençait à craindre pour sa vie.

Eden n'aimait pas tellement cela. Les choses allaient un peu trop vite pour elle, novice en la matière. Peut être qu'un vieux loubard aurait vu le coup venir, quant à elle, tout ce qu'elle vit venir, c'est sa mort prochaine et elle n'était pas certaine d'être prête à l'affronter tout de suite. N'empêche qu'elle était obligée d'avancer. Sortir son arme maintenant et défourailler dans le tas était totalement exclu. Finalement, ils atteignirent une nouvelle porte, conduisant directement dans une ruelle derrière le restaurant.

Sally nota au passage qu'un petit crachin commençait à tomber de nouveau, et après la chaleur des cuisines et le stress de s'être retrouvée dans le restaurant, un peu de fraicheur était plus que bienvenue. Mais malheureusement pour la blonde, elle n'eut guère le loisir d'en profiter autant qu'elle l'aurait souhaitée. Ni une ni deux, l'autre la poussa avec violence contre le mur d'en face. Elle ne s'y attendait carrément pas, tout juste eut-elle le temps de pivoter sur ses cannes pour que son bras heurte la surface verticale de béton.

L'asiatique accompagna son geste de quelques propos de mise en garde avant de lui expédier son poing dans l'estomac. C'était une première pour elle qui, malgré quelques années dans la police, n'avait jamais eu à déplorer d'atteinte corporelle. Sous l'impact du coup, elle se plia en deux, glissant sur le sol trempée. Tout l'air de ses poumons venaient de s'envoler. Heureusement pour la jeune femme, le type n'avait pas visé le foie, où la douleur aurait été largement moins supportable sur le coup.

Sally se redressa péniblement, toussant légèrement pour reprendre son souffle. La porte du restaurant se referma sur son agresseur sans qu'elle ne puisse rien y faire. Et qu'est-ce qu'elle aurait fait de toute manière ? Sans une arme, elle n'était rien de plus qu'une pauvre fille sans défense.

En titubant, elle alla shooter avec la plante de son pied dans la porte, laissant une empreinte humide sur le métal en plus du bruit mat que cela provoqua.

- Fils de pute !

Eden avait les nerfs, et c'était rien de le dire. Le fumier l'avait prit en traitre, sans coup de semonce, ni rien. L'espace d'un instant, la jeune femme aurait aimé qu'il revienne s'expliquer pour lui coller du plomb dans le lard, mais au final, il ne valait mieux pas en arriver à de telles extrémités.

Ignorant la pluie sur son visage, ainsi que les quelques vêtements mouillés qu'elle portait, elle réajusta son blouson de cuir et se dirigea vers l'artère principal. Un putain de restaurant de merde, qu'elle ne se priverait pas de commenter sur le net, même si elle n'y avait pas mangé. Voilà, elle tenait sa vengeance, aussi futile soit-elle !

Bon il ne manquait plus qu'à attendre que Samuel la repère pour repartir avec lui. Mine de rien, elle éprouverait du soulagement de la voir, alors qu'il ne devait pas mieux valoir que les autres abrutis de coréens. En tout cas, elle venait de décider d'une chose. Prendre des cours de self defense.

Elle ne savait pas ce qu'il l'avait calmé. La pluie, sorte de douche froide ? Le soulagement de voir la voiture ? La tronche inquiète du propriétaire de la berline anglaise ? Les deux bouffons de l'entrée hilares avaient de nouveau fait monter le rouge aux yeux de la blonde, mais c'était maintenant passé. Elle s'installa dans le siège confortable, s'en balançant royalement de mouiller les housses si tant est qu'il y en avait, sinon ce serait le cuir.

- M'ouais, maugréa-t-elle. Bon elle n'était pas totalement calmée encore. J'ai rendu le sac à Madame Yoon, et son gorille m'a fait passer un message pour toi au cas où tu aurais l'idée de me renvoyer ici. Elle le considéra un court moment, avant de le quitter du regard et de contempler le paysage derrière la vitre de la voiture. Mais je suppose que je vais pas t'en coller une dans le ventre pour le faire passer.

Elle soupira, avant d'ajouter :

- Bref, si je me repointe ici, je ressors le pieds devant.

La jeune femme semblait à la fois dépitée et furieuse au fur et à mesure qu'elle refaisait le scénario dans sa petite tête blonde. Sans trop savoir pourquoi, elle se confia au mafioso :

- Ces sauvages ne m'ont même pas laissé expliquer quoique ce soit. Elle imita la voix du traducteur coréen en reproduisant le dialogue : T'es avec les russes ? Oui. Ok on s'en va. Prend ça dans le ventre ! Nouveau soupir de frustration, avant de lâcher un petit constat personnel : Ils ont pas l'air de vouloir négocier quoique ce soit.

- C'est pas grave, ça fait partie des choses du métier... Ca arrive de donner de soi pour la cause.

C'était passé, maintenant qu'elle avait vidé son sac, la colère s’atténuait. En plus, elle ne pouvait pas en tenir rigueur à Samuel qui n'était pour rien dans cette affaire là. En tout cas, Sally ressentait un étrange sentiment de fierté personnelle d'être arrivée à plaire au mafioso. Une bonne chose de faite, même si elle ne devait pas relâcher la pression pour autant.

L'autre question lui fit dresser les poils des bras, heureusement dissimulés sous son cuir. Naturellement, elle répondit du tac au tac, comme-ci la chose était naturelle pour elle :

- J'ai pas de portable, faut que je passe en prendre un prépayé au cas où. Je suis plus difficile à suivre comme ça. J'espère que ça ne te pose pas de problème ?

Normalement, il ne devrait pas avoir de problème avec ça, étant donné que c'était un criminel, il ne devait pas badiner avec la sécurité. Il était hors de question qu'elle lui redonne son numéro de portable personnel. Merde, ils auraient pu prévoir le coup avec Stern de ce côté là. Histoire d'arrondir les angles, elle proposa directement une solution :

- Doit bien y avoir une boutique ouverte de nuit pour vendre ça je suppose.

Elle ne doutait pas une seconde que le russe n'avait pas quelques plans du genre pour lui faciliter le travail. Ils arrivèrent rapidement devant une supérette, et ils furent tout aussi rapidement à l'intérieur. Même pas le temps de faire deux pas dans la boutique que le gérant fut sur eux, reconnaissant Samuel. Eden resta poliment en retrait, observant la scène. Comme de juste, elle fit son entrée dans la conversation assez rapidement.

Quand Samuel la présenta à son ami, elle lui tendit la main pour lui serrer la paluche.

- Enchantée Vassili. C'est peut être vous le plus avisé de nous trois.

Le tout accompagné d'un sourire à la mode Sally Wells. Elle s'était permise un petit commentaire suite à la petite phrase de Samuel sur la retraite du propriétaire des lieux, du moins s'il l'était. Elle espérait au moins que les affaires lui avaient permit d'acheter ces murs, sinon ce n'était vraiment pas lucratif comme on le pensait.