Territoire des 78

Venir me prit du temps. A croire qu'on voulait que les quartiers pauvres ne soient pas facilement accessible. Mais non qui désirerait cela ?

J'étais dans le quartier latino. L'endroit en lui-même me rappelait Spanish Harlem. Rien de bien reluisant, mais vivant avec ses gamins dans les rues, ses tags...

Si ma caisse passait inaperçu il en n'allait pas de même de mon teint.

Ce n'était peut-être pas plus mal. Un intrus se fait vite remarquer dans ce type d'endroit. Après tout c'est que je désirais.

Je roulais lentement attendant de ferrer le poisson.

A force de tourner, Jake finit par se retrouver plongé au milieu de l'Amérique Latine, perdu au milieu d'échoppes de diverses recettes exotiques et des voitures tunés bounçant sur le rythme de chansons latinos.
Au bout d'un moment, un type tatoué en train de discuter avec ses amis finit par remarquer Jake. Les trois compères se dirigèrent vers Jake en riant et faisant craquer leurs phalanges.
- He ! Hola ! Estas perdido esse ?
Se rapprochant de la fenêtre alors que ses amis se mettaient devant et derrière sa voiture, il demanda.
- Eso es nuestro territorio, hay un peaje aqui, me has traigo algo ?
Demanda-t-il avec un sourire qui transmettait à quel point il se moquait de Jake et savait très certainement parler Anglais.

La traduction était en fait assez simple : t'es pas chez toi. Et il va t'arriver des bricoles.

Enfin bon c'était l'idée en gros.

Les règles dans la rue sont strictes. Si l'on montrait sa peur on était foutu.

Je demeurais donc parfaitement calme (en apparence).

Ensuite je mentionnais le nom d'un des 78, puis enchainais :

"Dites-lui que le gars de la dodge voudrait le voir, si vous le croiser."

L'important était que cela ait l'apparence d'un service pas d'un ordre. Ces types étaient chatouilleux surtout devant leurs potes.

Dans le doute ils ne toucheraient une relation éventuelle de l'un des leurs. Par contre s'il ne se souvenait pas de moi.....

Mais non ce n'était si loin, n'est-ce pas ?

L'interlocuteur de Jake fronça les sourcils à sa demande. Il hésita quelques instants puis recula.
- Reste ici.
Il disparu ensuite dans le dédale de rues derrière lui et au bout d'un moment, il finit par revenir avec le contact de Jake qui sembla le reconnaître de loin. Ils échangèrent quelques paroles et échangèrent une poignée de mains dans le plus pur style gangsta. Le contact alla donc à la rencontre de Jake et se pencha sur la voiture à la manière de son collègue.
- Ça faisait un bail vous, quoi de neuf.

Le message fut vite transmit. Tweeter pouvait aller se rhabiller. Rien ne valait les murmures de la rue.

Mon ancien camarade de jeu de l'épicerie se montra modérement accueillant. Je décidais de faire de même. Sinon cela aurait sentit le foutage de gueule.

On ne s'était vue qu'une seule fois, bien que les circonstances soient particulières.

"Je continue à m'installer ici." Dis-je tranquillement. "Histoire d'élargir mes relations je prépare une petite fête. Et il me faudrait de quoi s'éclater. Seulement je connais pas encore grand monde. Vous pourriez peut-être me rencarder là-dessus ?"

J'avais soigneusement éviter toute mention trop explicite sur la drogue. Cela rendait les gens nerveux. Ils pensaient avoir à faire à une taupe de la police.

Hé oui les truands eux aussi avaient leurs manières.

Le jeune gangster face à Jake se gratta la tête à sa question. Bien qu'il réfléchissait, il paraissait nullement déboussolé par ce genre de requête.
- Hum, je vois ce que tu veux dire... Oui on a un gars qui fait dans l'amusement, je l'appelle si tu veux.
Si Jake répondait par l'affirmative, son contact s'isolerait quelques instants avec son téléphone avant de revenir l'informer qu'il les retrouverait ici dans quelques minutes.

Mon histoire passait parfaitement. Ce genre de gars était formé pour sentir les flics, pas les journaleux.

Malgré cette victoire déjà convenable, je ne pus m'empêcher d'augmenter ma mise.

"Merci ça m'arrange. Mais tu sais je voudrais pas avoir affaire à un... vendeur foireux. J'ai appris qu'il y avait des problèmes avec les fonds de commerce en ce moment. Si je me retrouve mêlé à une tentative de rachat... je suis pas un commerçant moi."

Ha ce bon vieil art de la pègre de tout dire sans rien dire. Dommage qu'un gangsta ne se soit jamais lancé dans la politique. Quoique si il y a eut Nixon tout de même.

A la vue de la réponse de l'interlocuteur de Jake, il n'était certainement pas le premier à lui poser ce genre de questions quand bien même son parlé devait lui sembler excessivement professionnel. Il fronça les sourcils quand il parla de revente.
- Une revente, non... Si tu veux pas de marchandise pour la revente on t'en files pas. Dis-moi juste de quel type tu veux, quantités. Je passe quelques coups de fils, sous réserve d'un petit délai je peux tout t'avoir. Sauf si tu as des demandes classiques auquel cas on peut te fournir immédiatement.
Visiblement, le gangsta avait la pleine confiance dans le journaliste, quand bien même il ne connaissait pas sa profession... Peut-être était-ce que le visage de Jake inspirait la confiance aux mafiosis...

Même si j'avais visiblement gagné sa confiance, mon interlocuteur conserva ses réflexes "professionnels". C'est-à-dire qu'il ne lâcha rien. Donc il fallait faire durer.

"Non je ne fais pas dans le classique." Dis-je dans le style cool et détaché. "Bon je veux pas te presser mais tu pourrais appeler ton gars des amusements qu'on règle ça."

D'un regard extérieur pourrait me prendre pour un casse-cou voir un suicidaire. Sauf que moi je ne courrais (presque) aucun risque, d'être pris pour un flic. Je n'en avais ni l'apparence, ni l'odeur. A vrai dire je crois que même en me forçant je n'y parviendrais pas.

Le vrai problème viendrait plus tard avec mon rédac-chef. Mais je n'allais m'angoisser d'avance alors que se présageait une rencontre avec un dealer au moins de moyenne importance.

Le jeune gangsta échangea un sourire complice avec son client potentiel et lui fit un petit salut à la militaire.
- A vos ordres chef.
Il s'éloigna un peu pour passer un petit coup de fil puis revînt vers Jake avec qui il discuta de tout et de rien pour faire passer le temps. Au bout d'une dizaine de minutes, un mec arriva, visiblement plus fortuné que les autres... Il se rapprocha de la voiture de Jake et salua son acolyte en échangeant quelques mots en espagnol avant de se pencher.
- Hola esse. Alors si il parait que tu recherches du matos de qualité ? Des préférences particulières ou tu veux une dégustation ?

Comme prévu je fis donc la connaissance avec un membre de la middle class de la pègre. A vrai dire je ne m'attendais tout de même pas à une rencontre aussi rapide.

Ils étaient disponibles à ce point là ! A se demander pourquoi ils persévéraient dans la criminalité s'ils se tapaient de tels horaires. Autant bosser dans ce cas là.

En l'entendant me saluer je me dis qu'il faudrait me mettre à l'espagnol un de ces jours. Le dari s'était mort dans le coin.


"Salut. En effet je cherche de bons trucs. Comme je suis nouveau ici, je connais pas encore les particularités locales. Donc va pour la dégustation."

Tout en disant cela je me demandais comme j'allais faire passer cela dans mes notes de frais. Il s'agissait pas vraiment d'une rétribution d'informateur. Peut-être "prise de contact" ou "conformité aux particularismes locaux."

Au fond était-ce si différent lorsque ce seigneur de l'opium m'avait offert une pipe de son produit ? Ha si il n'y avait pas les gardes du corps munit de kalachnikovs.

Nous étions des petits joueurs à Seattle.

L'homme face à Jak rint en haussant les épaules;
- Oulà !! héhé... Non quand je dis une dégustation, c'est manière de parler, si t'essayes tout tu repars pas vivant ! Allez gare ta voiture on s'en occupe.
Il était manifestement décontracté : c'était leur territoire, ils le connaissaient et n'avaient pas vraiment de craintes ici. Ils bandèrent tout de même les yeux à Jake en le rassurant sur le fait que c'était la routine, qu'ils n’allaient pas lui faire le moindre mal ou encore qu'il pouvait leur faire confiance "les yeux fermés".
Après quelques minutes, ils arrivèrent dans une pièce un peu délabré mais qui ne faisait pas tâche par rapport à l'environnement du secteur. Le dealer étala alors sa marchandise : buvards, pastilles, poudres, herbes ou même champignons, il y en avait pour tous les goûts.
- Alors, dis-moi ce qui t'intrigue ?

La différence avec ma visite du seigneur de l'opium afghan s'accrut brusquement.

Lui m'avait reçu en grande pompe et ouvertement. Alors que là on prenait quelques précautions. Je mentirais (un peu) un prétendant ne pas avoir eu d'appréhension une fois les yeux bandés.

Une fois cette étape passé j'eus droit à l'échantillonnage comme si je m'entretenais avec un représentant de commerce.

Pour l'heure j’assistais là à un rouage bien huilé. Rien n'indiquait une menace ou des projets d'extension.

Que faire alors ?

Je n'étais pas totalement has been dans le domaine de la drogue. Je désignais la poudre de crakc. C'était ce qu'il y avait de plus répandus. Les chances que sont marchés soit concerné par une guerre des gangs étaient donc relativement élevées.

Ma demande contenait également un nombre de doses raisonnables. Le genre qu'il faut préparer un peu.

Puis je lançais un hameçon.

"J'habite de l'est. Ça serait possible de me livrer directement là-bas ? Je suis un peu à la bourre aujourd'hui."

Maintenant il fallait d'attentivement observer la réaction à cette demande. Elle serait pleine d'enseignement à qui ç'aurait regarder.

Le dealer parut surpris par le fait de se voir désigner la poudre blanche et expliqua.
- Alors là, tu as du crack, là de la cocaïne. Le crack est beaucoup moins cher car coupé, mais la différence de qualité est énorme ! Si tu ne veux pas froisser tes invités, je te recommanderais de prendre de la cocaïne. Attention, celle-ci est pure à 98%, c'est de la très très bonne came... Mais attention au surdosage. Pour les tarifs, le crack se vend à 50$ le gramme, la cocaïne à 250$ sur un gramme, tu fais sniffer entre 4 et 10 personnes, ça dépend du dosage et de l'habitude du consommateur.
Pour la livraison, ils se regardèrent et échangèrent un rire... Mais après réflexion, le dealersecoua la tête pour dire ni oui ni non.
- Faut voir.. C'est délicat quand même. J'ai envie de dire que ça dépend de la commande et de si c'est réglé d'avance ou pas.

L'est était censé être le fief de la pègre mongole et du reste des triades. Ma demande aurait dû les inquiéter plus que çà.

Étaient-ils si pro que cela ? Je n'allais tout de même pas provoquer une guerre des gangs. Il suffisait que mes livreurs se fassent repérer par les locaux de l'Est pour que cela dégénère.

Finalement j'étais plus prudent qu'eux. D'où mon rédacteur tenait ses sources ? Ils ne donnaient pas l'impression d'être sur le pied de guerre.

Bon je n'allais pas les déranger pour rien. Par précaution je préférais conserver de bonnes relations.

Je pris un gramme de crack et sortais mes billets. Quant à la livraison "Je repasserais si j'en ai besoin. Ça sera plus simple."

"La fille va mieux ? Elle s'est remise ?" Ajoutais-je au passage à l'autre histoire de gagner quelques points de sympathie.

L'air au final un peu déçu de voir Jake ne prendre qu'un gramme de crack (original pour quelqu'un qui cherchait de l'exotique devait-il se dire) mais il ne fit pas de commentaire. La demande du journaliste fit ensuite naître des sourires sur les visages et ils répondirent avec une chaleur apparente.
- Elle va mieux. Beaucoup mieux, grâce à toi. On évite d'en parler mais le reste du temps, c'est comme si rien ne s'était passé !
Dit-il l'ai satisfait alors qu'il recomptait l'argent.

Non décidément je les trouvais trop tranquilles. Il faudrait que je vérifie les soit-disant contacts de mon rédac-chef.

"J'ai eu surtout du bol." Répondis-je humblement au sujet de mon action précédente. "Et vous êtes vite intervenus. Putain de néo-nazis ! Je croyais qu'ils s'étaient calmés, moi. Ils causent encore des problèmes ?"

Je tentais machinalement de faire durer la conversation dans le mince espoir de tirer quelques renseignements utiles et de rentabiliser ma visite. Dieu sait qu'elle n'avait pas été gratuite.

Au moins j'avais élargis mes relations dans la communauté latino. J'essayais de considérer le verre comme à moitié plein.

Le dealer secoua la tête à la question de Jake.
- Non... Plus maintenant. Enfin disons qu'ils se sont calmés et ne reviennent plus nous faire chier nous. Par contre m'étonnerais pas qu'ils se fassent rentrer dedans pas d'autres bientôt. Ils font dans le deal de drogues eux-aussi, mais le deal de haut vol. Ce que t'as vu aujourd'hui ne représente qu'une petit portion des deal que je fais. Eux ils font tous leurs deals dans ce domaine mais le marché est restreint.Mais nous on s'en fous, on s'y intéresse pas ! Chacun reste chez soit quoi...
Il enroula un petit paquet qu'il tendit à Jake.
- Je t'ai pas écouté désolé, j'ai mis de la cocaïne. Meilleure, plus pure, pas coupé comme le crack. N'en prends pas une aussi grosse dose cependant. Après ce que tu as fait pour nous, c'est un petit geste.

Je remerciais ce petit geste commerciale avant de prétendre devoir partir. L'art du renseignement se résumait principalement à un subtil dosage. Il s'agissait de poser suffisant de question afin d'obtenir les informations désirées sans insister au point de devenir suspect.

Ainsi le FDL (ou une organisation affiliée) se mettait au trafic de drogue. D'une certaine manière cela me réjouissait. On pourrait ainsi casser l'image de justiciers communautaires qu'ils tentaient de se donner. Désormais on les verrait pour ce qu'ils sont : de criminels.

J'accordais un regard au sachet de drogue. Qu'est-ce que j'allais en faire ? Peut-être que si Shaîma organisait une fête avec ses copines ? Je plaisante, elle n'avait pas vraiment de copines. Ah si il y avait peut-être cette Carrie, un prénom de mauvaise augure à mon avis. C'était toujours çà.

Le champ était maintenant libre pour Jake qui se trouvait avec une cible qui l'intéressait... Malheureusement le soucis était que le FDL était justement une organisation très secrète et ils n'avaient pas vraiment pignon sur rue... Et ce business devait être d'autant plus secret qu'ils ne fournissaient que la haute ! L'infiltration promettait d'être sportive...