Pocatello, ID

Après une courte discussion, le groupe opta pour la solution la moins onéreuse et se dirigea vers Scoops & Sweets. Le panneau surla porte vitrée était sur la face 'closed' mais Rufus laissa tout le monde entrer et ne fit aucune difficulté à ce qu'on utilise son téléphone. Quelques minutes plus tard, un SUV bordeaux se garait devant la boutique. La vitre se baissait et Mr Blackhawk faisait signe à tout le monde d'embarquer.

Xiang remercia au moins cinq fois son employeur de lui laisser utiliser son téléphone et il sourit d'allégresse en ayant au bout du fil le chef de cette charmante famille. L'attente se fit avec une certaine impatience et une fois qu'il arriva il désigna ses amis d'un geste de la main.
- Monsieur Blachawk, je vous présente mes amis. Les gens ?
Xiang voulait les laisser se présenter eux mêmes exprès, ne sachant pas s'ils voulaient ou non dissimuler leur identité.

Les amis de Xiang entrèrent dans le SUV et se présentèrent les uns après les autres. Dee devint Lauren, Luis devint Carlos et Mel devint Kevin. Ils furent tous chaleureusement salués par le père de famille et la voiture redémarra.

Alors que la petite ville de Pocatello défilait par les fenêtres, Blackhawk entama la discussion.

- Alors Wen, comment s’est passée ta journée de travail ?

Le jeune chinois répondit au père de famille avec un sourire.
- Plutôt bien ! A vrai dire ça fait du bien de se poser un peu et avoir un bulot tranquille comme ça. I already told you about that.
Sur le chemin, il se permit quand même de le rectifier.
- Oh, et heu... c'est Wei, pas Wen. Et en fait Wei c'est mon nom de famille, je le dis toujours à la Chinoise désolé. J'aurais du dire Shen Wei en fait.
Dit-il avec un clin d'œil.

La voiture sortit rapidement du centre-ville et ne resta pas longtemps dans les faubourgs avant d’arriver à la réserve.

- Excuse-moi, Shen. J’essaierai de m’en souvenir.

Le véhicule arriva rapidement à destination. Plusieurs grandes maisons côte à côte, entourées de champs qui étaient bordés par une forêt.

John Blackhawk aida ses invités à décharger leurs maigres possessions et à les installer dans l’une des maisons.

- Votre logement est voisin du nôtre. Vous avez tous une chambre séparée. S’il y a le moindre problème, n’hésitez pas à me demander.

La maison était grande, l’intérieur en bois reprenait pas mal d’objets d’artisanat amérindien en guise de décoration. Il y avait effectivement quatre chambres, deux salles de bain un grand salon d’où on voyait la forêt, une grande salle à manger très conviviale et une grande cuisine.

- Il va être l’heure de manger. On a prévu que vous mangiez avec nous, si ça ne vous ennuie pas.

Il invita donc le groupe à les rejoindre dans la maison voisine pour passer à table.

"Shen" fit son possible pour bavarder avec monsieur Blackhawk au cours de leur voyage. Une fois arrivé au domaine, il se surpris à tomber totalement bouche bée devant ce qu'il leur proposait comme logement.
- C'est... C'est formidable ! Merci pour votre hospitalité !
Lâcha-t-il un brin ému. Quand il lui proposa ensuite de passer à table, Xiang accepta sans hésiter.
- Ce sera avec un immense plaisir monsieur Blackhawk.
Et une fois qu'ils eurent défait le peu d'affaires qu'ils avaient, Xiang le suivit alors.

Le père de famille sourit amicalement.

- Laisse tomber les « monsieur », moi c’est John.

Tout le monde prit place autour de la grande table. C’était de la cuisine familiale, probablement issue des produits de la ferme.

La discussion se lança naturellement entre les amis de Xiang et la famille Blackhawk sur des sujets banals. A moins que Xiang ‘nait un sujet spécifique à lancer, le dîner se déroulerait normalement et tous seraient ensuite mis à contribution pour la vaisselle.

- Je tâcherai de m'en souvenir John.
Dit le jeune asiatique avec un clin d'œil. Après cela, lui et tous ses amis suivirent John à table et à moins d'avoir eu le temps de mettre au point une petite histoire de manière à être cohérents. Dans le cas contraire, ils devraient juste éviter de parler de leur passé. Le repas serait donc fort agréable avec chaque participant faisant un effort pour être le plus agréable possible (sauf que bien sûr, face à une telle famille de gentils, ça ne demandait pas d'effort considérable). Par ailleurs, les invités n'attendraient pas qu'on leur demande un coup de main pour se proposer pour la vaisselle).

Xiang et ses amis eurent l'opportunité de mettre au point une histoire cohérente pour la famille Blackhawk. Ils étaient une bande d'étudiants de l'Oregon qui avaient interrompu leurs études pendant un semestre pour voir du pays et effectivement, la famille amérindienne ne posa pas de question et parut entièrement satisfaite de l'explication.

Après la vaisselle, Xiang et ses amis regagnèrent la maison qui était mise à leur disposition et profitèrent d'une bonne nuit de repos près que Dee eut changé le pansement à l'épaule de Xiang. Le lendemain, Xiang retourna travailler pour Scoops and Sweets. Mel et Luis travaillèrent dans les champs avec John. Dee resta à la maison avec Ellen et Sacagawea, respectivement l'épouse et la mère de John Blackhawk où elle participa à l’entretien des deux maisons avec les deux femmes shoshones.

Les maigres rentrées d'argent de Xiang étaient compensées par le peu de frais que le groupe avait pour vivre place et, à ce rythme, il ne leur faudrait pas très longtemps que pour avoir assez d'argent que pour rejoindre Tulsa.

Les jours, puis les semaines passèrent. Xiang se rétablit complètement de sa blessure et il commençait à connaître pas mal de monde dans la petite ville de Pocatello dont les habitants aimaient déguster les glaces de la petite boutique du vieux Rufus. Le week-end, ils faisaient des sorties avec la famille Blackhawk, ils visitaient la nature des environs, le lac, la forêt. Ils apprirent même les rudiments de l'équitation pour faire des ballades à cheval.

C'était une vie agréable, loin des problèmes de Seattle. Sur le ton de la plaisanterie, Dee émit l'idée qu'ils devraient rester là, qu'ils pourraient faire leur vie à Pocatello et Xiang la connaissait suffisamment que pour savoir que derrière cette boutade il y avait une envie de tranquillité. Au-delà de ce changement d'univers, l'expérience resserrait les liens du groupe. Mel et Luis étaient comme les doigts de la main, ils étaient devenus inséparables et c'était comme s'il n'y avait jamais eu de séparation à Seattle.

Une nuit, Xang se réveilla en sueur au milieu de l'obscurité. Le réveil indiquait 2:00 AM. Il devait avoir fait un cauchemar bien qu'il l'ait oublié dès son réveil. Il avait la gorge terriblement sèche et la bouche pâteuse. La seule solution était de descendre à la cuisine ou de se diriger vers la salle de bain pour prendre un verre d'eau. Et puis, dans le couloir, il faillit faire un arrêt cardiaque. Dans l'obscurité se tenait face à lui la vieille Sacagawea, en chemise de nuit. Parfois, elle avait des crises de sénilité et faisait des choses bizarres ais c'était la première fois qu'elle se retrouvait dans a maison de Xiang au milieu de la nuit.

- Ce que nous fuyons finit toujours par nous rattraper, tu sais.

Xiang avait bien profité de ces mois de tranquillité lui aussi et pour être tout à fait honnête, lui aussi pensait à éterniser la chose. Pour la première fois depuis longtemps, la vie s'écoulait donc paisiblement pour le jeune Xiang et sa "famille". Le temps s'écoula donc très paisiblement au rythme d'une vie enfin normale jusqu'au jour où, se levant pour aller pisser, tout simplement Xiang croisa l'aînée des Blackhawk au détour d'un couloir.
Ouvrant la bouche pour lui souhaiter le bonjour, Xiang resta bouche bée et écarquilla ses yeux à sa déclaration. Reprenant ses esprits en sortant un peu de son état endormi et fronçant les sourcils, il demanda.
- Je vous demande pardon ?
Dans le même temps, Xiang essaya d'inspecter le visage de la vieille femme, pour voir si elle n'était pas en transe ou somnambule, un truc dans ce genre... Parce que ça faisait vachement mystique comme set-up là...

La vieille fit un très grand sourire à Xiang.

- On dirait que tu es perdu, que tu ne sais pas bien où tu vas, ou ce que tu dois faire. On dirait que tu cherches ta place dans le monde.

Elle faisait la conversation au Chinois comme s'il avait été quatre heures de l'après-midi et qu'ils avaient été en train de boire le thé.

- Tu n'as pas l'esprit tranquille, pourquoi tu ferais des cauchemars sinon ?

Xiang resta interdit quelques instants face à la réaction de la grand-mère Blackhawk puis afficha un mince sourire. Cette dame était d'une grande sagesse et il n'allait certainement pas la lui faire, inutile d'essayer de nier qu'elle n'avait pas mit dans le mille. Le jeune garçon haussa alors les épaules.
- Vous l'avez dit vous même, ce que nous fuyons fini toujours par nous rattraper... Pourquoi serais-je tranquille alors ?
Malgré son envie de ne pas offenser Mrs Blackhawk en faisant genre "je ne vois pas de quoi vous voulez parler", il préférait éviter les explications compliquées.

Toujours souriante, la vieille dame offrit la solution à Xiang comme si c’était l’évidence même.

- Et bien il faut cesser de fuir.

Il se mit à rire.

- Si tu te trouves un objectif, tu avances vers cet objectif au lieu de fuir ce qui te poursuit. Est-ce que tu as un objectif ? Sais-tu pourquoi tu es sur terre ?

Xiang aussi rit à la déclaration de Mrs Blackhawk mais ce n'était pas pour la même raison... Elle n'avait rien découvert c'était sûr, sinon comment pourrait-elle lui donner une réponse aussi simple. Il répondit à la question suivante avec une certaine ironie mêlée de tendresse.
- Mon objectif c'est ma petite amie. Vivre avec elle une vie normale, me faire oublier en me fixant quelque part d'isolé pour élever une famille et vivre paisiblement, en laissant derrière cette vie de fuyard. Mon objectif est aussi simple que ça... Mais quand on est sans papiers, c'est difficile à réaliser.
En lui avouant ainsi une partie de son problème, Xiang espérait que ce serait suffisant pour qu'elle le laisse. Et puis de toute façon, avec sa tête de face de riz, c'était évident qu'il était clandestin non ? Ils devaient avoir deviné depuis longtemps.

La vieille se mit à rire une nouvelle fois.

- Tu veux fuir ta vie de fuyard, c’est le serpent qui se mord la queue.

Elle reprit soudainement son sérieux mais ne perdit pas sa bonne humeur. L’annonce de la situation irrégulière de Xiang ne lui avait fait ni chaud ni froid.

- Et si ta petite amie s’en va ? A ton âge, les relations ne durent pas toujours. Et même si vous vous restez ensembles, comment nourriras-tu des enfants ?

La conversation devenait de plus en plus bizarre et dérangeante à mesure qu'on avançait. Xiang avait perdu son sourire et cela lui déplaisait... L'idée de devenir désagréable lui traversa l'esprit et quitte à rester dans la fuite, le jeune homme essaya de clore la conversation et aller se re-coucher.
- Je pense qu'on gère tous ses problèmes comme on peut...
Il fit un pas en arrière et commença à se retourner.
- Maintenant... Si vous voulez bien m'excuser...

Quand Xiang s’éloigna, la vieille ne fit pas de commentaire, mais son rire en dit long. Elle tourna les talons à son tour et le reste de la nuit se passa sans encombre. Le lendemain, dimanche, le petit groupe se leva, chacun à son rythme, décidé à profiter de la journée de repos. Aucune trace de la vieille indienne dans la maison. Mel était devant les fourneaux en train de préparer des pancakes pendant que les autres se rassemblaient autour de la table.

- Bien dormi ?

Xiang retourna au lit énervé par la prédiction de la vieille sorcière indienne et eu du mal à trouver le sommeil. Le lendemain, il se réveilla un peu dans le coltard et se dirigea vers la cuisine pour le petit déjeuner. A la question de ses amis, Xiang répondit avec un sourire.
- Nuit agitée.... J'ai fais un rêve bizarre... Rien d'important...
S'empressa-t-il d'ajouter pour ne pas s'étendre sur le sujet.
- Et vous ?
Elle avait raison en un sens, ce n'était pas en fuyant tout le temps que Xiang allait avancer dans la vie... Mais de toute manière pour le moment, difficile de faire quoi que ce soit d'autre...

Les autres avaient tous dormi comme des masses. Le petit déjeuner se déroula dans la bonne humeur et, après la vaisselle, le groupe reçut la visite de John. Il avait l’air assez embêté, un peu gêné.

- Bonjour à tous. Je… Je peux vous parler deux minutes ?

Luis, Mel et Dee avaient l’air surpris, à la fois par la démarche et par la gêne inhabituelle de John. Mais tous les trois haussèrent des épaules pour signifier qu’ils ne voyaient pas d’inconvénient à l’entrevue.